L'incident de « Arab Face » à l'université Wilfrid Laurier

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Au début du mois de mars 2024, un membre du groupe d'étudiants Hillel Waterloo Laurier a porté un costume qui exagérait les traits arabes et qui a suscité la controverse. Ce costume, porté par un étudiant lors d'un événement de Pourim pour le groupe Hillel, comprenait un Keffiyeh palestinien conçu pour imiter une coiffe arabe, et un type de robe avec un rembourrage suggérant un gros ventre. L'étudiant semblait également tenir soit 1) ce qui semblait être un poignard, soit 2) ce qui semblait être le déclencheur d'une bombe suicide. Dans les deux cas, ce costume évoquait des stéréotypes orientalistes profondément ancrés et offensants. Après des protestations, et après avoir d'abord refusé, le groupe Hillel a fini par retirer l'image de son compte Instagram. L'université a déclaré qu'elle examinerait si cet incident violait le code de conduite des étudiants.

Malheureusement, ces représentations s'appuient sur des préjugés historiques qui ont longtemps été utilisés pour marginaliser, vilipender et déshumaniser les communautés arabes et musulmanes.[1] Cet acte s'inscrit dans le cadre d'un problème plus large concernant les costumes qui utilisent le blackface, le brownface ou qui caricaturent les apparences arabes, souvent sous le prétexte de l'humour ou de la célébration culturelle, ce qui en réalité sert à rabaisser et à banaliser les expériences de ces communautés.

Pourquoi cet incident est-il considéré comme du racisme anti-palestinien (RAP) ?

La présentation des Palestiniens sous un jour négatif, notamment par l'utilisation de caricatures et de symboles tels que le Keffiyeh et les couteaux pour suggérer des liens avec le terrorisme, est un exemple de racisme anti-palestinien. Ces représentations contribuent à renforcer les stéréotypes préjudiciables sur les Arabes et les Musulmans, en déshumanisant et en vilipendant l'identité palestinienne. Bien entendu, cet incident du « Arab face » s'est également produit dans un contexte de violence et d'atrocités graves commises par Israël à Gaza dans les mois qui ont suivi le 7 octobre 2023. Cette pratique consistant à associer des symboles palestiniens à des actes de terrorisme ne déshumanise pas seulement les Palestiniens, comme le décrit la définition du RAP par L'Association des juristes canadiens arabes (AJCA) [2], mais contribue aussi activement à un récit qui soutient leur oppression et leur marginalisation. Cela relie également l'identité palestinienne à l'islamophobie, en présupposant que tous les Palestiniens sont musulmans et que tous les musulmans sont des terroristes.

Dans un contexte plus large, la déshumanisation des Palestiniens est le reflet d'un problème systémique au sein de la société canadienne et reflète des attitudes globales qui diminuent les récits et les droits des Palestiniens. Ce problème est profondément lié aux politiques approuvées par l'État et aux sentiments du public qui favorisent la position discriminatoire du gouvernement israélien à l'égard des Palestiniens. Un tel environnement est propice à la diffusion d'une rhétorique qui dévalorise la vie des Palestiniens, comme en témoignent les remarques désobligeantes des dirigeants politiques et la validation de la violence à l'encontre des Palestiniens.[3] Ce schéma va au-delà de la simple politique, alimentant un récit historique qui dénigre les hommes palestiniens en les qualifiant de menaces ou de terroristes, une rhétorique qui sert les intérêts coloniaux en banalisant la souffrance des Palestiniens et en justifiant la violence à leur encontre sur la seule base de l'identité. Cette forme insidieuse de racisme sape non seulement le soutien aux luttes légitimes du peuple palestinien en faveur des droits de la personne, mais perpétue également sa déshumanisation et la violence disproportionnée à laquelle il est confronté.

Complément d'information sur l'incident

La pratique consistant à porter des costumes qui s'approprient et se moquent des apparences et des cultures des personnes de couleur, comme le blackface ou le brownface, est enracinée dans un héritage de racisme et de colonialisme. Cette tradition banalise non seulement l'oppression et l'exploitation auxquelles les populations non blanches ont été confrontées au cours de l'histoire, mais elle perpétue également les stéréotypes qui font de la blancheur la norme, faisant ainsi passer les autres races pour exotiques, inférieures ou indésirables. De tels actes ne reconnaissent pas la richesse de l'histoire, la diversité et la dignité des cultures dont on se moque, ce qui ne fait qu'enraciner le racisme et la discrimination. Les experts affirment que l'adoption de la culture et de l'apparence d'un autre groupe sous forme de costume le réduit à une simple caricature, manquant de respect et ignorant l'oppression et les luttes réelles auxquelles ces communautés sont confrontées. Par conséquent, le fait de porter de tels costumes n'est pas simplement une plaisanterie insensible, mais une manifestation de racisme profondément ancré qui doit être activement condamnée et évitée.

Par le passé, de nombreuses préoccupations ont été soulevées quant à la nature problématique des costumes qui caricaturent les Palestiniens, les Arabes et les musulmans, en particulier ceux qui représentent des stéréotypes tels que les kamikazes.[4] Ces représentations, notamment celle d'un homme arabe en surpoids portant une Keffiyeh et brandissant une fausse gâchette lors d'une célébration de Pourim, ne sont pas nouvelles dans la culture blanche nord-américaine, mais restent profondément troublantes. Ali Karjoo-Ravary, professeur adjoint d'études islamiques à l'université de Columbia, souligne que ces images, qu'il s'agisse de foules de personnages arabes ou de femmes voilées en deuil, s'inscrivent dans une longue histoire de déshumanisation de ces groups.[5]

Le choix d'adopter de tels costumes lors de célébrations religieuses, où l'habillement joue un rôle important pour diverses raisons, ne fait que perpétuer des stéréotypes préjudiciables. Cette question a été soulevée dans une lettre envoyée à l'administration de l'université Wilfrid Laurier par le professeur Jasmine Zine. Jasmine Zine, professeur de sociologie et de l'option d'études musulmanes à l'université, explique : [Cet incident du « Arab face »] était une célébration de la tradition juive de Pourim où des costumes sont portés pour représenter un événement religieux historique qui implique en partie un « homme maléfique qui voulait la mort des juifs ». On peut supposer que l'élève portant des vêtements arabes et des marqueurs culturels et tenant des poignards représente ce personnage. L'utilisation intentionnelle de ce trope historique comme stéréotype arabe diabolisant et raciste constitue un acte de haine islamophobe ».[6]

Les activités et les politiques de Hillel sur les campus canadiens, en particulier dans le contexte du conflit israélo-palestinien, ont suscité un débat important sur le rôle qu'il joue en favorisant potentiellement un environnement de sentiment anti-palestinien[7]. En présentant le soutien vocal à la Palestine comme intrinsèquement antisémite et comme une attaque contre les étudiants juifs, l'approche de Hillel a été critiquée parce qu'elle assimile la critique légitime des politiques israéliennes à un discours de haine.[8] Ses lignes directrices qui empêchent la collaboration avec des groupes ou des orateurs qui contestent la légitimité d'Israël, soutiennent le BDS ou cherchent à engager un dialogue sur les droits des Palestiniens sont considérées par certains comme un mécanisme de réduction au silence[9]. En outre, l'implication d'Hillel dans la distribution de matériel que certains interprètent comme propagandiste ou intimidant exacerbe encore les tensions.[10] Ces actions contribuent à créer une atmosphère sur le campus où les récits palestiniens et les complexités de leur lutte sont éclipsés par un récit singulier qui donne la priorité aux perspectives israéliennes, mettant ainsi à l'écart les voix et les préoccupations de ceux qui défendent les droits et la reconnaissance des Palestiniens.

Ce comportement met en évidence un problème plus large d'appropriation culturelle et de stéréotypes qui s'étend sur les histoires riches et diverses des pays arabes. En arborant un « Arab face » ou un costume de kamikaze, les individus ne se moquent pas seulement du peuple arabe et lui manquent de respect, mais ils s'engagent également dans une forme de déshumanisation qui remonte aux représentations coloniales et orientalistes des Arabes comme « sauvages » ou « terroristes ». De telles actions renforcent l'idée fausse selon laquelle les Arabes constituent un groupe homogène, ignorant la grande diversité de leurs cultures, de leurs langues et de leurs religions. En outre, en banalisant les identités et les expériences des individus arabes pour les réduire à de simples caricatures, ces costumes contribuent à créer un climat de racisme, d'islamophobie et de violence à l'encontre des Arabes.

Résolution

En réponse à cet incident, le professeur Zine a rédigé une lettre détaillée qui a été envoyée aux administrateurs de l'Université Laurier.[11] La lettre du professeur Zine appelle à une action disciplinaire immédiate, conformément aux codes d'éthique des étudiants de l'université et aux règlements pour les groupes d'étudiants du campus, soulignant l'urgence de traiter cet acte raciste pour respecter l'engagement de l'université à lutter contre le racisme, l'islamophobie et le racisme anti-palestinien. La lettre souligne l'impact de tels incidents sur la santé mentale et le sentiment de sécurité des étudiants musulmans et palestiniens, et exhorte l'université à fournir un soutien ciblé à ceux qui se sentent en danger, marginalisés et vilipendés.

Dernière mise à jour

2024-03-07

[1] Gollom, M. “Why wearing blackface or brownface is considered 'reprehensible',” Sep. 19. 2019, CBC News, accessed Mar. 7, 2024 at https://www.cbc.ca/news/justin-trudeau-brownface-blackface-1.5289259

[2] Anti-Palestinian Racism: Naming, Framing and Manifestations,” Apr. 25, 2022, Arab Canadian Lawyers

Association, accessed Mar. 4, 2024 at https://static1.squarespace.com/static/61db30d12e169a5c45950345/t/627dcf83fa17ad41ff217964/1652412292220/Anti-Palestinian+Racism-+Naming%2C+Framing+and+Manifestations.pdf

[3] Robson, M & Karadeglija, A., “Trudeau says some Pro-Palestinian protests cross the line into hate, harassment” Mar. 7, 2024, CBC News, accessed Mar. 7, 2024 at https://www.cbc.ca/news/politics/trudeau-palestinian-protests-security-1.7137255 / Clarke, J. “Palestine solidarity under attack in Canada,” Nov. 24, 2023, Counterfire, accessed Mar. 7, 2024 at https://www.counterfire.org/article/palestine-solidarity-under-attack-in-canada/

[4] Dolan, T.D., “Decolonizing Dune: Reimagining MENA and the Muslim World,” Dec. 21, 2021, Tropics of Meta, accessed Mar. 7, 2024 at https://tropicsofmeta.com/2021/12/21/decolonizing-dune-reimagining-mena-and-the-muslim-world/ (For deeper understanding of the topic, you might look for Orientalism by Edward Said, and Joseph Masaad’s book Desiring Arabs.

[5]  Karjo-Ravary, A., “Is Dune a White Savior Narrative?” Oct.26, 2021, Slate, accessed Mar. 7, 2024, at https://slate.com/culture/2021/10/dune-2021-movie-vs-book-white-savior-islam.html

[6] Waterloo for Palestine, “Tell Laurier University that Islamophobia and Anti-Palestinian Racism will not be Tolerated on Campus,” accessed Mar. 7, 2024 at https://actionnetwork.org/letters/tell-laurier-university-that-islamophobia-and-anti-palestinian-racism-will-not-be-tolerated-on-campus?source=direct_link

[7] Clarke, D. “York student unions face major backlash after releasing a statement in support of Palestine,” Oct. 13, 2023, Excalibur, accessed Mar.7, 2024 at https://www.excal.on.ca/news/2023/10/13/york-student-unions-face-major-backlash-after-releasing-a-statement-in-support-of-palestine/ , SPHR McGill & IJV McGill, “SSMU, AUS, and SUS Leaders Offered Free Propaganda Trip by Pro-Israel Organization,” Nov. 13, 2019, the McGill Daily, accessed Mar. 7, 2024 at https://www.mcgilldaily.com/2019/11/ssmu-aus-and-sus-leaders-offered-free-propaganda-trip-by-pro-israel-organization/

[8] Rothman, J. “York University is giving student unions a deadline to take remedial actions over a statement on Palestine/Israel amid tensions at the school,” Oct. 23, 2023, The CJN, accessed Mar.7, 2024 at https://thecjn.ca/news/york-university-student-unions-and-administration-face-off-over-palestine-israel-statement/

[9] Fishman, J. “Op-ed: I loved Hillel. I thought it loved me back,” Nov 2023, The daily Tar Heel, accessed Mar 7, 2024 at https://www.dailytarheel.com/article/2023/11/opinion-op-ed-hillel-gaza-palestine-war

[10] CBC News, “UBC student group sues Jewish non-profit and former contractor, claiming defamation over pro-Hamas stickers,” Feb. 8, 2024, accessed Mar 7, 2024 at https://www.cbc.ca/news/canada/british-columbia/ubc-student-group-sues-jewish-non-profit-former-contractor-over-defamation-1.7109363

[11] Waterloo for Palestine, “Tell Laurier University that Islamophobia and Anti-Palestinian Racism will not be Tolerated on Campus,” accessed Mar. 7, 2024 at https://actionnetwork.org/letters/tell-laurier-university-that-islamophobia-and-anti-palestinian-racism-will-not-be-tolerated-on-campus?source=direct_link